Le colbertisme demeure en France une référence. Ce mélange de volontarisme politique, de positivisme et de mobilisation des forces vives a construit une formidable machine à moderniser le pays, avec des succès considérables. Cette période fait l’objet d’une grande nostalgie, et pas seulement au sein des « grands corps de l’État ». Pourtant, il nous faut désormais penser l’aménagement et le développement des territoires dans un tout autre registre.
La France est particulièrement concernée car sa politique d’aménagement s’est construite sur trois piliers : celui des échelles territoriales emboîtées comme des poupées russes dont la somme constitue la nation ; celui des monopoles publics des réseaux (EDF, SNCF, Télécom, etc.) qui assuraient simultanément progrès technique, efficacité économique et solidarité territoriale ; celui des systèmes corporatistes qui cogèrent, avec l’État, des pans entiers de l’intérêt général (les agriculteurs, les médecins, les enseignants…). Ces trois piliers sont depuis longtemps ébranlés par la prolifération réticulaire : l’édifice pyramidal se désagrège du fait de l’entrée en mobilité des hommes et des biens qui brûlent les étapes et sautent les échelons ; les monopoles publics sont entrés en concurrence et n’assurent plus l’heureuse synthèse des années de croissance ; les corporations se figent et sont contournées par d’autres formes d’organisation et d’action.
Le numérique et les télécommunications fabriquent une géographie tout à fait différente de celle du réseau technique commuté ; l’explosion des mobilités individuelles interroge sur la capacité des transports collectifs à suivre le rythme ; partout surgissent des modes d’organisation plus ou moins formels qui prétendent s’inscrire dans le processus de décision et d’action collective ; les territoires s’organisent en réseau. Et par dessus tout, l’État lui même s’est profondément transformé. Il n’est plus le grand ordonnateur tout puissant, maître des horloges et des échelles. Transformé par le « haut » —l’intégration européenne— et par le bas —la montée des pouvoirs locaux— il doit s’adapter à une société civile bien plus autonome, plus souple et plus inventive, moins organisée selon les modes corporatistes traditionnels.
En 2014, le cycle de l’Ihédate se penchera sur cette question plus complexe qu’il n’y paraît : quelles sont les formes et les figures contemporaines du développement des territoires dans un contexte résolument post-colbertiste ? Cette question n’est pas seulement celle de la décentralisation et du développement « local » ; elle n’est pas non plus celle de la « disparition de l’État ». Il s’agit surtout de décrire et comprendre comment aujourd’hui les territoires, les réseaux, les groupes sociaux, les institutions s’organisent pour agir dès lors.