La cinquième et dernière rencontre du groupe Grand Paris de l’Ihedate a été animée par Philippe Estèbe. Elle s’est construite autour des interventions d’Alain Weber et François Loscheider. Il s’est agi dans un premier temps de traiter la question de l’articulation des différentes échelles de la métropole francilienne à travers le cas de la Politique de la Ville. Cette approche nous a amenés à traiter devenir de la métropole francilienne à travers les projets de loi de décentralisation actuellement en cours d’adoption. La deuxième intervention a davantage traité la notion d’’identité métropolitaine à travers le cas du Conseil de Développement du Val de Marne.
**1.Politique de la Ville : vers une dimension métropolitaine ?
La politique de la ville a connu, au cours de son histoire, des coups d’accordéon : partie des « quartiers » dans les années 1980, elle a été élargie aux échelles d’agglomération dans les années 1990, puis recentrée sur les quartiers dans les années 2000. A chaque étape, ce sont les communes qui ont assuré la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage locale. On sent bien, au sein de la ville de Paris, l’intérêt qu’il y aurait à « métropoliser » la politique de la ville. Mais que « métropoliser » et comment ? La future métropole aura-t-elle des compétences et des moyens lui permettant d’être un opérateur pertinent de la politique de la ville ? Comment pourront s’articuler et se compléter des approches très locales et des approches métropolitaines ?
***La Politique de la Ville (PV) : contrats État-communes ou contrats État-intercommunalités ?
La PV est un ensemble de mesures de discrimination positive à visée sociale, prises sur le territoire urbain. Le principal outil de cette politique est le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS, 2007) passé entre les collectivités et l’État. Les moyens d’action de la politique de la ville sont spécifiques, ce qui la différencie des politiques de droit commun telles que les politiques de santé ou les politiques éducatives, qui sont générales et appliquées de façon égale (en principe) sur l’ensemble du territoire. La PV porte actuellement sur 2 500 quartiers répartis sur la totalité du territoire. A Paris, ce sont quelques 330 000 habitants, soit 15% de la population répartie sur 14 quartiers qui sont concernés, concentrés dans le Nord-est, entre le boulevard périphérique et le boulevard des maréchaux. Ils sont environ 1,5 million en Ile de France, très concentrés en Seine Saint Denis.
La contractualisation permet aux collectivités de démultiplier les moyens financiers. Elle renforce également leur capacité de négociation avec l’État, ce qui explique l’intérêt pour les collectivités, et notamment de Paris, de maintenir certains quartiers dans le zonage prioritaire de la PV. D’ailleurs, l’État signe généralement les contrats directement avec les communes et l’intercommunalité dont elles font partie, rarement avec les intercommunalités seules.
Des arguments vont cependant dans le sens de l’action supra-communale : la géographie des établissements d’enseignement secondaire et celle de l’emploi montrent bien le dépassement du cadre communal (1/3 des jeunes inscrits à la mission locale de Paris ne résident pas à Paris). A l’inverse le niveau communal est souvent pertinent notamment en termes de service à la population, de relations aux associations, de démocratie de proximité.
Au-delà, on sent un manque d’approche plus globale de la politique de la ville. A l’origine, le Préfet d’Île-de-France assurait l’animation de la politique de la ville à l’échelle régionale. La Région n’a pas pris le relais, ses compétences et ses moyens étant pourtant pertinents (schéma directeur en partie opposable, réseau de transports, réflexions de l’IAU…) et l’État n’assume plus cette mission, devenant financeur d’une action menée localement, par les acteurs locaux. Les départements participent localement aux opérations liées à la politique de la ville mais au titre de leurs compétences. Ils n’assurent pas de coordination et d’animation entre les communes et les intercommunalités.
Il y a donc la place pour une approche supra locale de la politique de la ville, que pourrait assurer la métropole de Paris.
***L’exemple de l’urgence sociale : vers des transferts de compétences de l’État à la métropole ?
Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi « Acte III » ne mentionne pas explicitement la politique de la ville comme l’une des compétences de la future métropole de Paris. On peut cependant s’appuyer sur ce qui est dit en matière d’urgence sociale comme illustration d’une possible « valeur ajoutée » d’une approche métropolitaine. L’urgence sociale peut être définie comme la réponse apportée aux besoins d’hébergement des populations les plus fragiles (SDF, familles logées en centres d’hébergement d’urgence, etc.). Elle relève actuellement de la compétence de l’État. Les populations concernées sont mobiles et ignorent les frontières des communes. En ce sens, le niveau métropolitain apparaît pertinent pour traiter des questions d’urgence sociale. En revanche, la rédaction de la partie du projet de loi « Acte III de la décentralisation » portant sur la « métropole de Paris » montre la difficulté à articuler le niveau métropolitain (10,5 millions habitants) avec des actions de terrain.
La rédaction prudente du projet de loi (« soutient la mise en place de programmes d’action » par exemple) ne modifie pas les compétences actuelles des communes et des départements mais autorise une réflexion sur le passage à une échelle territoriale supérieure ; on peut faire l’hypothèse que cette réflexion sera de longue durée et que le processus de métropolisation des dispositifs d’urgence sociale sera lent. La formulation retenue n’engage donc pas l’avenir mais permet de progresser.
Dans le cadre d’une réflexion engagée par la Ville de Paris, il a été envisagé plusieurs pistes concernant l’apport de la métropole en matière de politiques sociales. L’action de la métropole pourrait s’articuler autour de trois piliers : la coordination de certains dispositifs (mise en réseau), l’harmonisation de certaines politiques (dispositifs financiers, pour les aides par exemple), l’expérimentation (grâce au regroupement de moyens humains et financiers)
Cependant, on peut s’interroger sur l’efficacité potentielle d’une institution que n’aurait que très peu de capacité financière (et donc de péréquation entre communes) et qui n’aurait qu’une vocation de coordination —même si les besoins de coordination et d’harmonisation des règles de politiques sociales sont importants.
***La légitimité démocratique de la métropole
L’harmonisation des moyens financiers et des compétences au niveau métropolitain requiert une légitimité démocratique qui est d’autant plus difficile à concevoir et à faire admettre que les intercommunalités grossissent (300 000 habitants en première couronne, 200 000 plus loin). A cet égard, Paris jouit d’une situation originale, à l’inverse de ce que l’on observe ailleurs : le Maire de Paris, bien que non élu directement, bénéficie d’une légitimité et d’une visibilité indéniable. Le maire du Grand Londres lui assi est un personnage charismatique qui incarne la métropole. La personnalité du futur président de la Métropole de Paris semble donc être un enjeu important pour son avenir.
**2. Métropolisation et identité : le cas du Conseil de Développement (CODEV) du Val de Marne
***Entre identité francilienne et métropolitaine : à quoi se réfèrent les habitants ?
Le CODEV a été créé il y a une vingtaine d’années à l’initiative des entreprises et de l’université et en lien avec le conseil général, alors que la plupart des CODEV sont rattachés à des intercommunalités d’agglomérations ou des pays. Il s’agit d’une association dont les membres de droit sont la préfecture, le conseil général et l’université Paris-Est Créteil. Le conseil d’administration du CODEV rassemble aussi des acteurs du monde social, économique et culturel (chefs d’entreprise, partenaires sociaux, élus locaux, responsables d’associations, etc.). C’est un lieu de réflexion et de débat sur le développement du Val de Marne et plus généralement de la métropole parisienne. C’est à ce titre que le CODEV a pris l’initiative de prolonger le débat public sur le Grand Paris Express, qui avait trouvé un écho important auprès des franciliens, en s’intéressant non pas aux infrastructures mais aux pratiques de mobilité. Une conférence d’acteurs a été mise en place sur le modèle des conférences de citoyens. La participation des habitants a été sollicitée par le biais des communes, retenant, sur une soixantaine de candidatures, une vingtaine de participants pour mener la réflexion. Une réunion d’introduction suivie de 4 séminaires ont eu lieu courant 2012 pour permettre à chacun de s’exprimer sur les conséquences de l’arrivée des nouvelles infrastructures en termes de mobilité et d’usages.
Il est apparu que la réflexion portait surtout sur les gares et sur leur impact urbain (économie foncière et perception de la gare en tant que centralité). La difficile articulation des échelles a également été mise en évidence mais sans être traitée. En effet, si l’enjeu local de la gare est facile à aborder, il en va différemment de la question métropolitaine. Les gares n’ont pas toutes la même vocation mais il a semblé difficile d’établir une hiérarchie entre elles. Ceci révèle le manque d’intérêt des habitants du département pour la métropole : ils semblent plus franciliens que métropolitains et ne perçoivent pas la métropole comme un espace intégré. A ce propos, Frédéric Gilli constate l’importance de l’appartenance locale en Île-de-France mais souligne que l’appartenance métropolitaine est perçue de manière abstraite. En effet, les habitants d’Île-de-France sont souvent attachés à leur commune et les identités locales sont fortes. De même, lors de la première séance du groupe Grand Paris, Emmanuelle Ligouzat avait insisté sur le fait que 80 % des usagers de la Poste souhaitent que les colis soient livrés à domicile. Elle en concluait à l’importance de la permanence du domicile et de la proximité dans un système métropolitain.
Pour autant, si les habitants se sentent franciliens, ce n’est peut-être pas à la région Île-de-France qu’ils se réfèrent (perçue probablement comme une structure administrative), mais plutôt aux réseaux de transport qu’ils empruntent chaque jours (RATP, SNCF).
***L’improbable identité métropolitaine ?
Pour autant, les consultations de ce type peuvent apparaître comme biaisées, dès lors qu’elles saisissent les personnes d’abord dans leur identité « habitante », en fonction de l’adresse de leur domicile. Au-delà des distorsions habituelles de ce type de consultation (majorité d’hommes blancs, souvent déjà engagés localement et habitué de ce type d’instance), c’est la dimension métropolitaine des individus qui échappe à l’analyse. Il est possible de considérer que « l’homme métropolitain » est une hypothèse d’école, et que les individus ne se perçoivent pas comme habitant un espace métropolitain, ou que l’usage de la métropole se résume à un ensemble de contraintes qu’il faut subir chaque jour et à quoi l’on aspire à échapper. Il est possible aussi que les modalités d’interrogation des personnes tendent à ne les considérer que sous un seul angle : habitant, usager des transports, travailleur, salarié. Il est possible enfin que l’interrogation sur l’articulation des échelles et des identités (je suis d’Orly, du Val de Marne et de la métropole parisienne) soit une interrogation abstraite et ne corresponde pas à la façon dont, en réalité, nous tissons nos itinéraires dans l’espace urbain et métropolitain. Je peux habiter Fresnes, travailler à Paris, et à la belle saison aller faire de l’escalade en forêt de Fontainebleau, sans avoir le sentiment de « traverser les échelles » (je suis toujours à la même échelle, c’est-à-dire la mienne et je ne perçois pas de rupture), ni d’être un « métropolitain ».
On pourrait dire que, paraphrasant K. Marx, les hommes font la métropole mais n’en n’ont pas conscience. Et l’on en revient à la force des représentations politiques. Si les personnes participant à la réflexion animée par le CODEV du Val de Marne se sentent franciliens et pas métropolitains, c’est que, malgré ce qu’on en dit, la Région est identifiée comme une instance politique qui formate, en retour, une réalité sociale, économique et environnementale. Belle revanche pour une entité administrative dont les frontières sont censées être en permanence transgressées par le mouvement des personnes, des biens, des activités et des informations. L’espace politique continue donc d’être une référence, un marqueur de l’appartenance. Même si, par nos pratiques, nous le transgressons en permanence. Nous ne deviendrons métropolitains que le jour où la métropole s’incarnera dans une personne ou un gouvernement identifiable.
Pour autant, est-il nécessaire que nous ajoutions cette dimension métropolitaine à notre panoplie identitaire ? Est-il véritablement souhaitable que la métropole constitue une référence politique ? Ne vaut-il pas, dans certains cas, se contenter de coordinations discrètes mais efficaces, pour faire, sans le proclamer, fonctionner la métropole au mieux des intérêts de ceux qui l’habitent et la pratiquent ?
Inversement, et c’est le sens du premier débat sur la politique de la ville, l’identification et la visibilité politiques ne sont-elles pas un levier de pouvoir pour assurer efficacement les fonctions de coordination nécessaires ?