Avant de s’intéresser aux territoires qui composent le Grand Paris par le prisme des comportements, la première étape était bien de s’interroger sur l’habitant lui-même. C’est ce qui a été fait lors de cette première rencontre, à partir de deux réflexions proposées par Livier Vennin (délégué à la coordination du Grand Paris à EDF) et Emmanuelle Ligouzat (directrice des études à La Poste direction du Colis). Les réflexions se sont notamment portées sur le rapport de l’habitant à la ville, et plus précisément sur son premier lien à la ville : le domicile. Ville numérique, ville mobile : le logement comme premier rapport de l’habitant à la ville est-il dépassé par ce nouvel imaginaire urbain ?
Le compteur électrique intelligent, une nouvelle intrusion dans les logements ?
Avant de s’intéresser à l’humain, l’attention des participants s’est portée sur le compteur électrique. Un objet qui éclaire le quotidien de chacun, qui semble anodin tellement il est commun, mais qui connaît depuis quelque temps, et pour la première fois en 60 ans, d’importantes mutations, comme l’explique Livier Vennin (EDF). Dans son épopée, il a connu une sorte d’apogée avec le « compteur bleu » qui a accompagné les Tentes Glorieuses. Il justifiait la fonction sociale du releveur de compteur, seul agent public qui entrait régulièrement dans chaque domicile. C’est pourtant aujourd’hui, alors que le releveur s’apprête à quitter les maisons au profit d’un compteur intelligent, que les tensions apparaissent et se cristallisent autour de cet objet.
Avec ce compteur intelligent, certains voient, sans doute à juste titre, un vecteur d’autonomisation des individus. C’est-à-dire, la possibilité de maîtriser sa consommation, d’être un consommateur responsable, et peut-être un producteur, voire un stockeur d’énergie. D’autres dénoncent une nouvelle intrusion dans le quotidien des habitants. Ces derniers n’ont pas totalement tort, puisque à terme, le compteur intelligent permettrait de relever toutes les 30 minutes les quelques 35 millions de lieux de consommation électrique du pays. Mais à distance, cette fois-ci. Les technologies dématérialisent donc la présence extérieure, et pourtant les habitants la ressentent plus fortement que jamais.
Qu’est-ce qui fatigue l’habitant ?
Pourquoi un tel refus et une telle méfiance vis-à-vis de cet objet, dont les bénéfices économiques et environnementaux pour les usagers sont certains ? Par ce rejet, l’habitant exprime-t-il une certaine fatigue ou fait-il preuve, au contraire, d’un regain de vitalité qui l’amène à fermer sa porte à ce nouveau compteur ?
Ce qui semble certain, et partagé par les participants, c’est que l’habitant, par nature, s’oppose à ce qui vient de l’extérieur. Encore plus lorsqu’il s’agit du numérique, car, bien qu’enclin à abandonner des informations personnelles, il s’indigne lorsqu’elles sont réutilisées. Davantage encore, lorsque les interférences viennent de l’Etat. D’autant plus qu’en proposant un nouveau compteur à ses clients, EDF ne propose pas une nouvelle offre d’électricité, comme il l’avait fait lorsque, 60 ans auparavant, il avait introduit le compteur dans le quotidien des français. Malgré tout, les clients anticipent une hausse des prix, contre laquelle ils s’opposent en rejetant le compteur. C’est, finalement, une certaine vitalité qui semble s’exprimer à travers cette défiance vis-à vis du nouveau compteur électrique.
Peut-être ce sentiment de fatigue s’exprime-t-il davantage à l’encontre du nouvel imaginaire urbain imposé par l’Etat, les opérateurs, les constructeurs, et dont fait partie le compteur électrique intelligent. Le discours de la ville rêvée a été amplifié, ou pour le moins profondément transformé, avec les nouvelles technologies. Il est devenu le récit de la ville numérique, intelligente, dans laquelle l’individu devient un acteur à part entière, maître de sa consommation, voire de son logement. Et dans ce nouvel imaginaire, le compteur électrique intelligent à toute sa place. Il y a donc bien une certaine fatigue à l’encontre de ce nouveau récit, ou pour le moins un certain désenchantement, de la part d’individus confrontés aux problèmes plus terre à terre du quotidien, à l’exemple de la précarité énergétique qui menace des milliers de foyers.
Il ressort de ces constats un premier paradoxe. Paradoxe entre ce qui est présenté comme un nouveau rêve urbain, qui permet d’imaginer l’autonomisation des usagers, et ce qui est ressenti comme une contrainte supplémentaire. Cette nouvelle contrainte de la ville numérique n’est pas en phase avec les préoccupations quotidiennes. Deuxième paradoxe, la place de l’habitant dans cette nouvelle construction de la ville. Il est certain que le citoyen doit participer à la construction de ce qui serait, sinon, un monde technocratique, mais la concertation, le partage, l’adhésion qu’on lui propose ne permettent pas d’atteindre cet objectif. Ils sont juste une nouvelle image dans cet imaginaire urbain.
Les échelles déphasées de la métropole et du quotidien
Certains participants ont cependant précisé que l’on a bien, dans une certaine mesure, une co-construction de la ville. Une co-construction partielle, car seulement une petite partie de ses habitants peut y participer, en se saisissant de la ville numérique qu’on lui propose. Ou partielle, car chacun ne contribue à construire qu’un certain fragment de la métropole, en inscrivant dans la ville son propre parcours urbain. Dans cette acception, la métropole existe comme la juxtaposition des bouts de métropole que chaque individu construit.