Partant d’un « cas-limite », le « Balardgone » ou « Pentagone français », Ludovic Halbert détaille non seulement les processus par lesquels la financiarisation pèse sur le devenir urbain, mais aussi les acteurs à l’œuvre dans cette évolution.
Le « Pentagone français », ou « Balardgone »
Il s’agit de procéder à la rénovation de bâtiments existants, de loger le ministère de la Défense et de créer des bureaux, à travers un classique « PPP » (partenariat public privé) qui met en jeu comme mise de départ un milliard d’euros. D’où proviennent les capitaux ? L’État apporte 300 millions (75 millions issus de la vente du patrimoine immobilier, le reste de la vente d’un bail auprès de fonds d’investissement), et un groupement privé apporte 700 millions – pour les 90000 m² qui seront revendus à des investisseurs. « À tous les étages, on trouve des fonds d’investissement, qui se saisissent des immeubles, du foncier et de la dette publique comme nouveaux supports. » L’immobilier devient ainsi à la fois le produit et le moyen du financement.
Si le cas est « limite », il n’en est pas moins représentatif de l’implication croissante des investisseurs financiers dans la production des infrastructures : routes, réseaux, télécommunications…
De l’outil de production au statut d’actif économique
Il fut un temps où l’immobilier non résidentiel, outil de production, servait à abriter des activités et protéger des espaces. Depuis la fin des années 90 en France, il devient un actif, une ressource économique. Dans les grands groupes notamment, la gestion du patrimoine immobilier s’est autonomisée, avec pour effet une monétarisation de l’usage et des arbitrages qui, sous la pression des actionnaires, conduit à vendre l’immobilier pour en devenir locataire.
Naissance d’une industrie de l’investissement immobilier
On a là un véritable marché de l’investissement, avec pour matière première des capitaux de plus en plus importants issus de l’épargne sous diverses formes : assurance-vie, fonds de pension… Et les fonds souverains disposent de capitaux conséquents, à la recherche de supports d’investissement, dont l’immobilier d’entreprise. La production urbaine devient alors négociable, passe de l’immobilité à la liquidité. Pour en assurer la gestion, un nouveau métier est né, qui représente en France une centaine de personnes. Une profession qui sait s’organiser, très efficace pour faire entendre ses intérêts – quand bien même elle ne représente que de 10 à 15% des surfaces du parc immobilier d’entreprise. C’est elle qui a créé puis imposé les indices des loyers de bureaux et de locaux commerciaux. Elle a de plus en plus l’oreille des aménageurs et des collectivités locales, elle façonne une filière.
Diffusion des représentations
Comment se gèrent les capitaux en jeu ? « Le cycle typique est d’environ huit ans : 3 ans pour acheter, 3-4 ans pour gérer et faire monter la valeur du bien, 2-3 ans pour sortir ». Avec des outils pointus de détermination du risque par rapport au rendement, des outils de pensée communs, des représentations fortes. Le tout avec un souci constant de la réduction de ses coûts opérationnels : il est moins onéreux d’investir dans un bâtiment de 800 millions d’euros que dans 100 bâtiments de 8 millions. Cette gestion a des effets sur la ville : localisations préférées (Ile-de-France, Euralille, la Part-Dieu à Lyon, Euromed à Marseille), taille d’immeubles, standards énergétiques, standards architecturaux (immeubles « en peigne » pouvant être loués en totalité ou en plusieurs parties).
« Ces acteurs quasi invisibles sont une des clefs de la transformation métropolitaine », conclut Ludovic Halbert. « Tout cela se diffuse, à travers les lieux et les représentations, auprès des autres acteurs : collectivités territoriales, aménageurs, promoteurs… » Par contre, ce segment professionnel n’est pas très à l’aise avec le patrimoine industriel et la réhabilitation. Et encore moins avec le logement résidentiel.