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« Grand Paris » / 3 : ancrage ou passage

Les auditeurs

Document mis en ligne le 5 avril 2012
La médiathèque de l'Ihédate propose une sélection de vidéos, interventions, textes, synthèses, choisie dans les archives de l’institut. Les documents de la médiathèque sont accessibles librement sur notre site Web, n'hésitez pas à référencer ces pages si leur contenu vous intéresse. Les archives de l'Institut contiennent bien plus de documents encore – notamment plus d'un millier de vidéos–, dont l'accès est réservé à nos auditeurs actuels et passés.

Retrouvez le compte-rendu ci-dessous ou bien téléchargez-le


L’objectif de cette seconde rencontre du groupe Ihedate – Grand Paris était d’interroger la métropole francilienne au travers des notions d’ancrage et de passage. Traditionnellement, les politiques publiques ont privilégié l’idée d’ancrage territorial : on capte les populations pour les retenir sur un territoire, ou on cherche à développer l’accession à la propriété, etc. N’y a-t-il pourtant pas un fort enjeu à accepter que le passage sur un territoire puisse être bénéfique pour l’usager qui passe (individu ou entreprise) autant que pour le territoire ? La mobilité des individus s’accroissant, les distances se raccourcissant mais les territoires demeurant bien souvent spécialisés, la capacité à attirer les usagers sur un territoire sans les y bloquer est décisive.
La réflexion s’est construite autour des interventions de Marc Knoll, en charge des grands projets à l’Agence Régionale de Développement Paris Île-de-France, de Pierre Veltz, directeur général de l’Etablissement Public Paris Saclay et de Christophe Rabault, directeur de l’AORIF, l’Union Sociale pour l’Habitat d’Île-de-France. Tout particulièrement, les enjeux de l’attractivité économique et du logement ont été abordés au prisme de l’ancrage et du passage dans la métropole parisienne.

[**Une attractivité de passeur ?*]

L’attractivité d’un territoire est traditionnellement mesurée par sa capacité à attirer et retenir des ressources, tant humaines que financières et technologiques. Cette notion même de ‘retenir’ s’oppose à l’idée de territoire de passage. Cependant, de nouveaux indicateurs émergent et rendent compte d’un changement de paradigme, à l’instar de la capacité d’un territoire à faire naître des start-ups. C’est, plus généralement, le concept même d’attractivité territoriale qui évolue. De plus en plus, l’attractivité se construit en direction des gens et non plus seulement en fonction du territoire. Dès lors, l’image et la communication ont un rôle croissant à jouer pour construire l’attractivité du territoire : il ne s’agit plus seulement de mesurer les atouts d’une ville, mais également sa capacité à les rendre visibles.

Marc Knoll est revenu sur le cas de la métropole londonienne qui illustre ce changement de paradigme. De la City of Business, la métropole londonienne est devenue The world in one city. Une communication ambitieuse, qui s’adresse à l’individu – à tous les individus plus exactement, et non plus seulement aux entrepreneurs et aux salariés – plutôt qu’à l’entreprise, comme l’illustre la communication de Londres, « accélérateur de carrières  ». Les destinataires premiers de cette nouvelle communication sont les individus qui font la mondialisation – ou plutôt qui sont la face visible de la mondialisation. Entrepreneurs, jeunes actifs qualifiés, étudiants mobiles, jeunes talents et créatifs : une catégorie hétérogène d’usagers à attirer, notamment par la promesse d’un territoire capacitant (notion anglaise d’empowerment) et riche en opportunités.

Cette nouvelle communication trouve dans le développement de la Tech City sa meilleure application. Le succès de la Tech City, au centre-est de la capitale, illustre le développement d’une nouvelle industrie –l’industrie créative et liée aux nouvelles technologies–, à destination des jeunes créatifs et des entrepreneurs. A noter que cette nouvelle industrie illustre déjà le passage d’une industrie traditionnelle ancrée sur un territoire à une industrie plus mobile. Cependant, cela ne signifie pas que le territoire perd de son importance : Shordich, le territoire de la Tech City, à l’intersection entre le centre financier londonien et l’Est plus jeune et bohême, est le cœur de la Tech City. Le territoire devient le lieu d’émergence d’une industrie de passeur, et l’espace disposant des ressources à même de capter les usagers cibles.

Le cas londonien illustre bien l’évolution de la notion d’attractivité, construite dans le cas présent en direction des gens et non plus seulement en fonction du territoire. Cela tient notamment au constat que les entreprises vont là où les gens décident d’aller – constat qui se rapproche de la notion de classe créative développée par Richard Florida.

[**Un enfermement de la métropole parisienne dans une vision patrimoniale*]

La situation est différente en ce qui concerne la métropole parisienne. Paris est indéniablement une ville attractive, comme l’illustre le nombre d’étudiants français et étrangers y résidant, le nombre de projets et d’emplois issus des IDE, le nombre de salons et de conférences organisés, ou encore le nombre de start-ups créées (2e en Europe derrière l’Allemagne en nombre de start-ups créées, et 11e au niveau mondial). Pourtant, le message des autorités aux entreprises et aux entrepreneurs est contradictoire, et la communication à l’œuvre met en lumière la difficulté des décideurs publics à construire une communication et une image partagées et fortes.

Il y a, dans un premier temps, une concurrence forte entre territoires franciliens qui empêche la structuration d’un message unique et fort, le développement d’une dynamique globale et la construction d’actions communes à destination des populations et des activités à attirer. Les territoires franciliens fonctionnent donc dans une logique de concurrence, où priment les visions particulières. A titre d’illustration, il n’y a pas de slogan clair pour la métropole parisienne, et la marque du Grand Paris peine à s’imposer aux territoires. Cette situation interroge donc la gouvernance de la région, et notamment le découpage administratif et les instances de gouvernance métropolitaine. L’image reconstituée ici est donc celle d’un paquebot sur lequel n’ont embarqué que des passagers clandestins, qui profitent des externalités sans en payer le prix. En comparaison, New York ou Londres semblent plus à même de porter un message fort et homogène entre les territoires, à l’exemple du discours politique ambitieux qui a accompagné le lancement de la Tech City : arrêter de dépendre de la finance, attirer de jeunes talents et innover.

Au-delà de la communication et de l’image présentées au monde, ce sont la vision et l’action mêmes des décideurs publics qui freinent le renouvellement des politiques d’attractivité et l’intégration à celle-ci de la notion de passage. Première illustration de ce constat, le fait que l’on parle de parcours résidentiel de l’entreprise (incubateur, hôtel d’entreprise, etc.), c’est-à-dire, de l’idée de fixer les entrepreneurs et les entreprises sur un territoire.

De même, les décideurs cultivent une vision patrimoniale, centrée sur l’optimisation des ressources, qui contraste avec la vision américaine d’optimisation des ressources présentes et d’attraction des ressources manquantes. Cela s’explique, d’une part, par la croyance française en une certaine autosuffisance nationale (qui semble obsolète mais qui n’a pourtant pas entièrement disparu). C’est-à-dire, l’idée que l’on peut avancer sans les autres, et dès lors que la valorisation des ressources propres est plus importante que l’attraction d’autres ressources. L’affaire des Pigeons a mis en lumière les tensions qui existent à ce sujet et l’impact immédiat en termes de communication et d’image de cette question. D’autre part, cette vision patrimoniale s’explique aussi par les différences culturelle et historique entre les pays. L’économie américaine est celle d’une économie liée à l’immigration, où la science comme l’industrie se sont construites grâce aux ressources externes. Cependant, il ne faut pas oublier que les flux migratoires sont différents : l’immigration parisienne est moins qualifiée que l’immigration londonienne ou new-yorkaise, bien que le stock d’immigration soit similaire entre Londres et Paris (–le taux de population étrangère serait d’environ 12%)–.

Les politiques d’accueil sont différentes aussi.
En effet, la disposition à l’hospitalité est aussi essentielle en ce qui concerne l’attractivité d’un territoire. Cette disposition fait pourtant souvent défaut aux politiques publiques franciliennes, qu’il s’agisse des dispositifs d’accueil, du fonctionnement du transport ou de la question de la fluidité du parc de logement. Ainsi, à Paris, il manque 90000 logements en stock et le stock est géré dans une logique patrimoniale.

[**Et l’attractivité des gens ? Logement de passage ou logement de bon port ?*]

Ainsi, bien que les facteurs de blocage soient nombreux à Paris, la notion d’attractivité territoriale tend à prendre davantage en compte les populations et la notion de passage. Pourtant, cela ne signifie pas que les politiques urbaines sont moins essentielles : l’attractivité reste très fortement liée au bien-être des populations sur un territoire et à la qualité du vivre ensemble. S’il est vrai que les populations se fixent moins, et qu’une migration circulante (communautés mobiles et de passage sur un territoire) tend à se développer, rendant moins prégnant le besoin d’intégration dans le long-terme, l’inscription dans un espace physique, même temporaire, reste étroitement liée à la qualité de vie, aux conditions d’accueil physique offertes par le territoire et à la capacité à s’inscrire dans un réseau structuré. Par ailleurs, si la spécialisation territoriale est encore vraie, et contribue à attirer une catégorie d’individus ou d’usagers particuliers (à l’exemple des entreprises mêlant design, création et nouvelles technologies à Londres), la capacité d’une ville à être plurielle et à attirer une diversité d’usages est essentielle. Complémentaire aux politiques urbaines, la politique culturelle joue, par un exemple, un rôle majeur. Le projet de l’Etablissement Public Paris Saclay de structurer un lieu rassemblant chercheurs, étudiants et entrepreneurs est emblématique de l’importance de la politique urbaine dans l’attractivité d’un territoire (et du rôle du territoire physique) et également de l’importance de la communication pour attirer les populations cibles.
La question du logement est également centrale. Bien que le logement soit le moyen premier d’ancrage des individus sur un territoire – ou des entreprises dans le cas de l’immobilier d’entreprises –, il est intéressant de le questionner au travers de la notion de passage : logement de bon port ou logement de passage ?
Le parc privé est, sans surprise, un port d’attache, et les dernières années l’ont conforté dans ce rôle puisque la durée d’occupation des propriétaires a augmenté. A l’inverse, le locatif pose, de par sa fonction, la question de la fluidité du logement. Mais le cas parisien illustre une fois de plus la difficulté à raisonner en termes de passage : le logement locatif social est ainsi devenu un port d’attache où le taux de rotation est inférieur à 6%, voire plus faible encore dans les zones centrales. La rotation est plus importante pour le parc locatif privé, mais celui-ci régresse en comparaison au parc locatif social. Cette situation du secteur locatif entraîne des mécanismes de blocage très importants : elle constitue un frein important à la mobilité résidentielle et génère un effet de trappe pour les populations immigrées.

L’attraction des étudiants et des jeunes actifs qualifiés et créatifs vers un territoire, très liée à la politique urbaine, dépend aussi fortement de la capacité du parc de logement à accueillir ces populations nouvelles. La question se pose en termes quantitatifs, mais également en termes de structure du parc de logement.
Les freins à l’accueil des populations nouvelles sont nombreux. Ils tiennent en partie à la situation du marché du logement dans la métropole, exacerbée dans Paris intra-muros. Ils sont aussi le résultat de défauts de gestion du parc de logement parisien, à l’exemple de règles trop strictes et peu adaptées aux spécificités du marché, et qui contribuent à fossiliser le parc de logement. En ce qui concerne l’aspect quantitatif, les perspectives d’évolution sont peu encourageantes, puisque les administrations sont divisées sur les solutions à mettre en œuvre : autorité organisatrice de logement avec ou sans compétence en matière d’urbanisme, compétences intégrées pour l’agglomération, augmentation des droits à construire, etc. L’idée n’est pas, bien sûr, de soutenir le développement d’un parc destiné à la rotation – la règlementation à l’encontre des locations meublées touristiques se durcit –, mais plutôt de fluidifier le parc public et le parc privé, locatif ou non, pour être en mesure d’accueillir les différents types d’usagers que captent une métropole : d’une part, ceux qui constituent la face visible de la mondialisation, et d’autre part, ceux, plus ou moins visibles qui se concentrent dans certains territoires comme la Seine-Saint-Denis, de plus en plus spécialisés dans l’accueil des populations immigrées.

Le constat dressé, tant au niveau de l’attractivité économique que du logement, est celui d’un certain retard de la métropole parisienne à renouveler la notion même d’attractivité. L’exemple londonien illustre le succès d’une rupture importante, tant en termes d’orientation industrielle que de communication autour d’un territoire offrant de nouvelles opportunités pour les individus. Il met aussi en lumière l’enjeu majeur d’intégrer la notion de passage aux politiques publiques et à la conception même de l’attractivité territoriale.